Thomas de La Marnierre | Québec
Ce n'est pas le français québécois qui est bizarre, c'est le français pointu de la haute-société en France qui l'est.
Écoutez les accents régionaux en Picardie, en Normandie, dans le Poitevin, en Bretagne . . . (qui sont, incidemment, les régions d'origine des Québécois et des Acadiens.) Écoutez même la sonorité des patois, donc des langues d'oïl qui ne sont pas le français. Vous retrouverez là l'inventaire des sons tout à fait typiques de l'Amérique du Nord au grand complet. Je vous jure, c'est troublant de voir comme ces parlers provinciaux ressemblent au parler populaire au Québec. Plus les locuteurs sont âgés, et plus on est en terrain familier.
Voilà quel était le français populaire, le français réellement parlé par les provinces en France. Cette langue-là a été dévalorisée par le système d'éducation français au 19e siècle. C'était des parlers qui faisaient trop paysan, qui rappelaient trop qu'il s'est parlé en France des langues autres que le français, comme par exemple le picard qui a une vingtaine de mots pour décrire dans le menu détail la couleur du blé. Les bourgeois de Paris qui parlaient avec l'accent Marie-Chantal ne parlaient pas la langue de la vraie vie, la langue du peuple, ils parlaient une langue orthonormée, une langue codifiée pour rendre son apprentissage par des étrangers plus facile, notamment son apprentissage par une myriade de Maghrébins et d'Africains qui initialement ne parlaient aucunement le français. C'était une langue faite pour parler des nouvelles découvertes de pointe, pour aller à l'opéra, pour aller assister aux expositions universelles, pour écouter le théâtre en vers de la Comédie française, pour voyager dans le monde dans les décors pittoresques de Saïgon ou de Buenos Aires. La langue paysanne en revanche n'était pas faite pour être étudiée par des étrangers, et bien souvent on ne se préoccupait pas vraiment de l'écrire, surtout pas de l'écrire phonétiquement.
Le français québécois, le français acadien, le français louisianais ne sont pas faits pour être appris par le monde entier. On ne fait pas de mission civilisatrice avec ces parlers. Ce sont des parlers de gens pauvres, vivant isolés à la campagne, à l'écart des grands bouleversements du monde, qui n'allaient pas à l'opéra, qui arrêtaient d'étudier à 14 ans pour aller travailler aux champs. C'était des sociétés qui avaient très peu d'immigrants et qui jusqu'à tout récemment, ne s'étaient jamais posées la question d'en intégrer aucun et qui n'avaient aucunes infrastructures en place pour le faire. Ce n'est que très, très récemment que la nécessité d'un parler québécois standard a commencé à émerger, d'où l'existence de l'Office québécois de la langue française (OQLF), et même là, cela s'est fait tellement tard qu'il n'y avait pas beaucoup de raisons pour faire d'un tel parler standard un parler radicalement différent du parler orthonormé de France.
Encore aujourd'hui, tandis qu'on vous apprend dans les cours de castillan (« espagnol ») qu'en Europe on dit coche et qu'en Amérique on dit carro, jamais, au grand jamais, on ne verrait rien de similaire dans les cours de français à travers le monde. Vous n'apprendrez jamais dans un cours de français qu'en Amérique, on dit pas un glouton mais un carcajou, qu'on ne dit pas un élan mais un orignal, qu'on ne dit pas une noix de pécan mais une pacane, qu'on ne dit pas un kaki mais une plaquemine… Peu de chances que vous connaissiez le goglu, un petit oiseau dont le nom a des racines qui remontent jusqu'à l'ancien français. Quand vous utilisez le conjugueur officiel de la Real academia española, on va même jusqu'à vous proposer des conjugaisons alternatives pour l'Argentine. Vous ne verriez jamais aucun conjugueur vous offrir de conjuguer je m'assois (verbe régulier) au lieu de je m'assied (verbe irrégulier), cela n'arrive pas. Encore aujourd'hui, des légions d'étudiants du français à travers le monde se plaignent qu'on compte en système vigésimal en français alors que la Belgique et la Suisse disent plutôt septante, huitante, nonante. Aucun cours de français nulle part sauf dans ces pays ne vous mentionnera ce fait. Au Québec, les gens seraient abasourdis d'apprendre que les écoliers wallons appellent latte ce qu'ils appellent une règle. Au Québec en revanche, un aiguisoir ne sert pas à aiguiser des couteaux mais des crayons à mine (autrement dit, c'est un taille-crayon). Le cours de français réellement mondialisé reste à inventer.
Pourtant, tout cela est issu de la mécanique la plus profonde de la langue et n'est aucunement une corruption apportée par l'anglais. Tout cela trouve souvent des racines médiévales, et parfois le mot utilisé en France est attesté plus tard que le mot employé ailleurs . . .
. . . et c'est ainsi qu'on s'interrogera en France pourquoi ces coloniaux parlent si bizarrement alors qu'il suffirait de tendre l'oreille dans les campagnes françaises pour entendre pratiquement la même chose. C'est également pour cette raison que quantités d'anglophones se disent que s'ils apprennent le français au Québec, il sera forcément mauvais et forcément inutile pour parler dans le monde, notamment quand il visiteront les Châteaux de la Loire et le Louvre. La bonne bourgeoise anglaise du Musée des Beaux-Arts va vouloir apprendre la langue de Paree, mais lèvera le nez sur la langue bâtarde de son portier à Montréal et ne voudra daigner parler son français qu'avez les gens biens, les gens avec qui elle a de doctes discussions à propos de la Dame à la Licorne dans le Musée de Cluny. En Louisiane, c'est le contraire. Personne ne veut entendre parler du "Parisian". On veut savoir comment ça se dit en "Cajun French", parce que forcément, c'est trop bâtard pour ressembler le moindrement à ce qui se dit à Paree. Bien sûr ! C'est à peine si c'était du français, en fait, peut-être que c'en est plus, que c'est autre chose ! Il serait impensable que ce soit exactement le même mot qu'à Paree !
Pourtant, vous savez, le capitaine Haddock est aussi capable de parler québécois et il le fait de façon convaincante :
(Album Colocs en stock, une version de Coke en stock en québécois populaire.)
Un sans-génie est un imbécile en saguenéen. De toute évidence, il ne fait pas preuve de génie.
Un robineux est un mendiant qui sent la robine (l'alcool).
Un suce-la-cenne (ou un baise-la-piastre) est un avare.
Piastre se prononce piasse et était le nom d'une monnaie utilisée dans les colonies espagnoles, et son nom a également donné "dollar", et ça veut dire dollar.
Une mouche à chevreuil est un taon et sa morsure n'est pas appréciée. Les gens les détestent en Abitibi ou dans les Hautes-Laurentides.
Un téteux est quelqu'un qui fait preuve de flagornerie : il « tète » la maîtresse et dénonce ses petits camarades afin de se faire bien voir d'elle, il flatte de façon servile et outrancière. Personne n'aime les téteux et leur vilain tétage.
Un gérant d'estrade est quelqu'un qui croit savoir faire quelque chose mieux que vous sans être pourtant impliqué dans la situation, tel un supporteur de match de hockey qui reste dans les estrades pour critiquer le jeu des joueurs de hockey sans rien faire par lui-même.
Par contre jocrisse ne se dit pas au Québec, ou si ça s'est dit, c'était des siècles dans le passé. Vous liriez ça dans du Molière. C'est un imbécile, un maladroit.
Astheure, qu'on entend jusqu'en Louisiane*, veut dire à cette heure, autrement dit, maintenant, à ce moment.
*Note des éditeurs : le mot astheure est écrit comme asteur par la plupart des auteurs du Bourdon, mais il reste néanmoins le même mot.
Thomas de La Marnierre est titulaire d'un Baccalauréat en histoire de l'Université du Québec à Montréal. Il a des origines françaises et québécoises. Il est touche-à-tout et s'intéresse à des sujets variés comme la science, l'actualité, la vexillologie, l'héraldique, la linguistique, etc.
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