Shannon Beck | Dhaka, Bangladesh En lisant le Courrier International, j'ai glissé sur un article du journal québécois L’Actualité. Le journaliste montréalais, parti en reportage au pays des Cadiens, raconte être ébloui par le français de la Louisiane et révèle n’avoir jamais oublié, lui qui est né en 1964, le jour où, à 16 ans, au Texas, il entendit parler français dans une radio locale. Cette toute petite anecdote de rien du tout m'a tiré les larmes des yeux, comme le jour où, à Pondichéry, en Inde, il y a un peu plus d’un an, j’ai rencontré Yolande.
Yolande c’est un tout petit bout de femme, adorable, drôle, pleine d’énergie, avec la mémoire qui flanche. Créole franco-indienne d’au moins 80 ans, elle prend soin, attentionnée, maladroite, de Pichaya, peintre lui aussi créole. En fait, c’est plutôt lui qui prend soin d’elle.
Yolande a cette petite voix aigüe, chevrotante, cassée, qui chuinte et chuchote. Elle porte ses cheveux gris en chignon, une longue robe bleue à arabesques blanches, de grandes créoles dorées aux oreilles et des bracelets autour des poignets. Sa peau cuivrée, et tout en Yolande, la rend étincelante à mes yeux.
La première fois que je l’ai entendu parler, j’étais émerveillé. Pour avoir habité un an au Québec, à Trois-Rivières, comme étudiant, j’avais pris l’habitude d’entendre résonner l’accent québécois quotidiennement ; à l’université, dans la rue, chez moi.
Mais cet accent là . . . le parler de Yolande, ce n’était pas du cadien ou du québécois. C’était la couleur d’un français au moins aussi ancien, plus fragile encore, un français chéri, gardé au cœur, longtemps, avec amour, comme un trésor. J’entendais 400 ans de français me murmurer peut-être des choses anodines, d’autres plus graves, avec l’enthousiasme de Yolande, son innocence écarquillée.
Pichaya, après s’être rencontrés dans son bar et avoir discuté longuement, passionnément de la francophonie, de l’histoire de Pondichéry, avait tenu à nous inviter, mon ami et moi, chez lui, le lendemain, pour déjeuner. Il était très content de pouvoir discuter en français avec nous, de nous montrer ses tableaux, de parler peinture, histoire. Nous aussi. Il nous raconta sa propre histoire, celle d'une famille française indigène passée par le Tonkin, au Viêt Nam. Je suis certain qu'au-delà de ce déjeuner chaleureux, Pichaya voulait nous présenter Yolande. J’en suis sûr.
Aujourd’hui, alors que la moitié du monde se barricade et que l’autre moitié retient son souffle, je comprends, je ressens encore plus fort pourquoi rencontrer Yolande, c’était recevoir un héritage à nul autre pareil.
J’espère que demain la Francophonie saura s’unir dans la fraternité, j’espère vivement que nous nous retrouverons autour de ces patrimoines épars, que nous puissions les partager, que nous puissions nous retrouver à nouveau avant que les mémoires ne disparaissent et que nous oubliions tout ce qui nous lie. Et c’est tant de choses. Il faut se parler, se parler beaucoup.
La guerre de Sept Ans est terminée depuis bien longtemps. Vivement demain que nous nous retrouvions, que nous prenions des initiatives communes pour partager nos patrimoines et nos vies, pourquoi pas ? Place de l’Opéra à Hanoï, quelque part dans l’île Saint-Louis au Sénégal, flânant le long de la rivière Richelieu au Québec, sur la promenade à Pondichéry, assis à l’une des terrasses de Paris comme au bord du Lac Bijou en Louisiane.
Vivement demain !
Shannon Beck est professeur d'humanités à l'école française de Dhaka.
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