Thomas de La Marnierre | Québec
Périodiquement, la Louisiane est touchée par des ouragans, le dernier en date étant Barry. Cela n’a rien de nouveau en Louisiane: déjà, en 1722, un ouragan dévasta la jeune ville naissante de la Nouvelle-Orléans ainsi que l’ancienne capitale Biloxi, qui n’était la capitale que depuis deux ans.
Avant d’en parler, cependant, permettons-nous une petite digression. Le mot ouragan provient à l’origine du taïno hurakán. Les Taïnos étaient le premier peuple rencontré par Colomb dans les Antilles. Ce mot est passé en castillan (« espagnol ») sous la forme de huracán. Selon le dictionnaire du Trésor de la langue française, ce mot fait son apparition en français en 1553 dans le livre Des Merveilles du Monde [traduit du castillan] de G. Postel. À cette époque, le mot a la forme d’houraquan. Le mot que nous connaissons dans sa forme actuelle, ironiquement, pourrait avoir été un legs de la Nouvelle-France !
En effet, on peut lire houragan dans le livre de Marc Lescarbot dans Histoire de la Nouvelle France, pp. 64-65. Marc Lescarbot est bien connu des gens qui connaissent l’histoire de l’Acadie car c’est lui qui a écrit la première pièce de théâtre jouée en Amérique du Nord. Cette pièce était Le Théâtre de Neptune, qui fut jouée en 1606 dans la capitale acadienne de Port-Royal devant un public acadien et micmac.
De quoi donc nous parlait Lescarbot? Regardons . . . (Ne vous étonnez pas à propos de l’orthographe, il s’agit de français classique.)
« Apres avoir rodé la côte il fallut en fin penser de se loger. Conseil pris, on voyoit qu'au Cap de la Floride c'est un païs tout noyé; au Port Royal c'est un lieu fort agreable, mais non tant commode ni convenable qu'il leur étoit de besoin, voulans planter une colonie nouvelle. Partant trouverent meilleur de s'arreter en la riviere de May, où le païs est abondant non seulement en mil (que nous appelons autrement blé Sarazin, d'inde, ou de Turquie, ou du Mahis) mais aussi en or & argent. Ainsi le vint-neufiéme de Juin tournans la prouë s'en allerent vers ladite riviere, dans laquelle ilz choisirent un lieu le plus agreable qu'ilz peurent, où ilz rendirent graces à Dieu, & se mirent à qui mieux mieux à travailler pour dresser un Fort, & des habitations necessaires pour leurs logemens, aidez du Paraoustide cette riviere, dit Satouriona, lequel employa ses gens à recouvrer des palmites pour couvrir les granges & logis, chose qui fut faite en diligence. Mais est notable qu'en cette contrée on ne peut bâtir à hauts étages, à-cause des vens impetueux auquels elle est sujette. Je croy qu'elle participe aucunnement de la violence du Houragan, duquel nous parlerons en autre endroit. La Forteresse achevée, on lui donna le nom, LA CAROLINE, en l'honneur du Roy Charles, l'endroit de laquelle se pourra remarquer par la delineation que nous avons faite, & joindre ici du païs que les François ont découvert en la Floride. »
Il nous raconte la fondation de la Floride française et du Fort Caroline.
Le mot ne prendra son orthographe actuelle que vers 1640 dans P. J. Bouton, Relation de l'establissement des François depuis l'an 1635 en l'isle de la Martinique, p. 34. L’histoire du mot ouragan est donc une histoire très américaine, et sa prononciation actuelle est beaucoup tributaire de la manière dont ce mot a été déformé en Nouvelle-France.
Mais pour revenir à la Louisiane, je vous prie de lire le père Pierre-François-Xavier de Charlevoix, qui est bien connu de toute personne qui s’intéresse à la Nouvelle-France. Dans sa monumentale Histoire et description générale de la Nouvelle France, avec le Journal historique d’un voyage fait par ordre du roi dans l’Amérique septentrionale, on peut se faire une idée générale des colonies de la Nouvelle-France et aussi avoir une idée de base de la situation politique des nations autochtones.
Le 12 septembre 1722, Charlevoix nous rapporte la dévastation que cause un ouragan en Louisiane, et on croirait fort bien lire une description des calamités causées par Katrina en 2005 :
« Pour comble de malheur, le 12. de Septembre à dix heures du soir, il s’éleva sur le Micissipi un Ouragan, qui dura dans toute sa force jusqu’au midi du lendemain, & se fit sentir jusqu’aux Natchez d’une part, & de l’autre jusqu’au Biloxi. L’Église, l’Hôpital, & trente, tant Maisons, que Baraques de la Nouvelle Orléans, furent renversées ; tous les autres Edifices furent endommagés. Personne n’y périt, mais quelques Malades furent blessés dans l’Hôpital. Quantité de Bateaux, de Pirogues, de Canots & de Chaloupes furent brisés dans le Port; trois Navires, qui y étoient mouillés furent fort maltraités, & se trouvèrent échoués assez haut sur le bord du Fleuve, qui avoir crû de huit pieds. Il ne resta dans les Habitions au-dessus & au-dessous de la Ville aucun bâtiment sur pied. Le Biloxi fut encore plus maltraité; toutes les Maisons & les Magasins y furent abattus, & la Mer ayant franchi ses bornes, une partie de ce Poste fut inondée. Les Traversiers, qui étoient en rade, furent jettés sur les Isles & sur les Côtes du Continent. Il y en eut même un dont le Capitaine se sauva seul avec un Mousse, ayant passé vint-quatre heures sur la Vergue ; et le reste de l’Équipage fut noyé. & plusieurs Pirogues, qui déscendoient à la Nouvelle Orléans, chargés de vivres & de volailles, firent naufrage. Les Légumes, qui étoient en maturité, furent perdues, & les pluyes continuelles, qui survinrent, gâterent une bonne partie de ceux, qui étoient encore verds. »
Il y eut plusieurs morts !
Il est intéressant de lire ce que disait l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert au sujet des ouragans en 1756. Il est en particulier surprenant de voir à quel point déjà, sans pourtant posséder notre actuelle science météorologique, les ouragans avaient déjà été classifiés en plusieurs types, chacun portant un nom gréco-latin. Ironiquement, les ouragans de la mer des Antilles étaient vus comme étant pire que ceux qui surviennent dans l’Océan indien.
Il est enfin intéressant de noter qu’à chaque fois qu’il y a un ouragan, on se plaint des digues du Mississippi qui protègent la ville de la Nouvelle-Orléans des eux du fleuve Mississippi et du lac Pontchartrain qui sont plus hautes que le niveau de la ville, mais on peut voir que déjà en 1722, en l’absence de ces digues, les inondations étaient déjà un problème sérieux.
À voir les énormes problèmes que cela causait aux Français du XVIIIe siècle, il serait à propos de se demander comment les autochtone chactas, chicachas, natchez ou houmas faisaient face à la puissance des éléments. Nul doute que des millénaires de fréquentation avec les ouragans leur ont appris à s’adapter. Quand aux Français, on sait qu’en Martinique, ils recommandaient de ne pas construire de bâtiments trop élevés, de peur qu’ils soient secoués et partent au vent.
Thomas de La Marnierre est titulaire d'un Baccalauréat en histoire de l'Université du Québec à Montréal. Il a des origines françaises et québécoises. Il est touche-à-tout et s'intéresse à des sujets variés comme la science, l'actualité, la vexillologie, l'héraldique, la linguistique, etc.
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