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« Je me souviens »

Jérôme Nédeau | France Depuis la France, à la manière de ceux de la Belle Province à la Fleur de Lys, je me souviens.

Au Fort Chambly, sur la Richelieu, devant Montréal, je braille. Je braille, maudit maudit sois-je le maudit Français. La perte est là, finie la Nouvelle France, la guerre est perdue, la guerre est perdue asteure et aussi il y a 250 ans de cela ! Elle est perdue et à cœur perdu je braille dans le musée d’aujourd’hui. Je braille mes sœurs et mes frères, l'abandon, la trahison. Maudit, maudit Français je suis. Et pourtant, sans nul doute, en 1761 j'étais déjà bien là, je le sais, jamais je n’aurais rien lâché . . .


Et puis icitte encore, je cours, la rivière Cuyahoga, les herbes, le canot nous attend au bout sur le lac. Je cours, nous courons mon frère Huron et moi, nous courons pour nos vies. L'uniforme du Roy et le fusil pèsent quand l'Iroquois rit derrière nous, crie sa grande joie de notre future proie, de notre trophée dans sa main ensanglantée. Mais il y a toujours le canot devant, le lac en bas, la promesse de l'abri au Détroit ! C’était il y a 250 ans ? Ou alors p’têt ben plus tard, 10 ans before the founding of the National Park, là c’est certain, j’étais ben là, avec ma ti’sœur qui chante et court devant moi . . .


Métempsychose ou réincarnation, qu'importe l'explication pourvu qu’il y ait la Foi . . .


Au Fort de Chartres, après plusieurs mois, la nouvelle est arrivée, sur les Plaines devant Québec, Montcalm, bétaille à la nuque roide, est tombé. Les sots, les sots, ils ont capitulé quant à Montréal, Lévis le Chevalier était paré ! Maudit soit le Roy ! L'Nanglais s'en vient, l'Nanglais s'en vient ! Panique, panique sur le Grand Père des Eaux ! De Kaskaskia, Vincennes, Prairie du Rocher, tous ils arrivent . . .


Peaux noires des déportés de la Guinée, peaux rouges des Illinois, peaux blanches des filles et fils de Bretagne, Normandie, Poitou et Dauphiné, qu’importe, tous protégés du Louis de France. Et tout à l'abri, sur l'autre bord, chez l’Espagnol désormais, Sainte-Geneviève est fondée . . .


Et puis, dans la Louisiane, tout en bas, les enfants de Grand-Pré s’en viennent, beaux, vaillants, résilients. Ils sortent des immondes pontons des Anglais, de l’humiliation du parcage au Maryland ou encore, s’en retournent depuis la Belle-Isle et sa pointe des Poulains, là-bas loin au breton pays. Leurs yeux s'ouvrent grand grand ! Cher ! Ils voient le bayou, le cypre et l'Atchafalaya et, dans la boucle de la rivière au loin, la Ville est ben brillante là !


L’Nindien Houma, ou Chacta, montre chevrettes, chaouis, ouaouarons. Mais aussi bouches de coton, têtes cuivrées et cocodries.


En vérité, tout comme le Micmac là-haut à Port-Royal avant lui . . .


Et alors, la maison est bâtie. Le champ est labouré et puis planté.

Dans la Louisiane. En français, tout renaît.


Laissez le bon temps rouler. Et asteure, en 2019, moi le maudit Français, je rêve dorénavant en français louisianais . . .


Et puis l'huile coule, Sweet Crude la Maudite (ou p’têt ben la bénie ?), I will not speak French at school. I will not speak French at school. Cadien c’est pas cultivé, Cadien, c’est pas américain. So sad, so sad à la fin, I can no longer speak French with Maman and Papa . . .


However, asteure, year after year, I'm still running on Mardi-Gras. Et sur KVPI, Jim Soileau tient bon et sert toujours sa bonne tasse de café (en) français. Gombos, jambalayas, fais dodo, nous autres, on est toujours icitte. Malgré tout ça, toute cette maudite histoire-là, on est toujours là. Arsenault, Thibodeaux, Guidry et Landry. Et aussi Robicheaux, Marceaux ou Fontenot . . . Nos patronymes, et à travers eux nos papas, parlent pour nous et ne nous trahissent pas !


Alors ça lâche pas. Vous-autres les chers sœurs et frères lâchez pas, rien, nothing at all. Alors zou, les p’tits enfants, plouf dans l’immersion ! Et moi, le maudit Français qui plus fait rien asteure qu’à rêver en français louisianais, ça fait qu’j’m’accroche et qu’ça peut plus davantage m’lâcher . . .


Hey hey hey ! Hé hé hé ! Du fond d'l’Acadiane retentit tout ce grand cri de la joie, de la renaissance. Et j'entends la descendance qui fait du sacré train dans l’maïs ! Avec les p'tits cochons de la boucherie et toute la band’ du Jourdan et d’ses Rôdailleurs. Et pis, s’en vient toute l'huile bénite (celle-là, c’est sûr) des Sweet Crude . . . Ouais, possible, elle est p’têt la dernière génération, mais elle m’semb’ quand même ben parée et avec elle, j’crois pas qu’la fin du monde en français va jamais arriver . . .


Ça fait qu’en vous écoutant jaser, je braille encore et toujours, malgré les 250 ans passés . . . Mais la patate me lâche pas, me lâchera jamais, et la fierté qu’on a icitte de vous-autres fait asteure tout mon bonheur.


 

Jérôme Nédeau est ingénieur en informatique et en génie industriel en France. Il a vécu à Montréal pendant presque deux ans il y a vingt ans, et il se passionne pour l'histoire de la Nouvelle-France et pour la cause des Français d'Amérique, qu'ils soient Cadiens, Houmas, Fransaskois, Créoles de la Louisiane, d'Haïti ou d'ailleurs.

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