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La belle dame du marais

Dernière mise à jour : 11 févr. 2019


Bennett Boyd Anderson III | La Nouvelle-Orléans, Louisiane


J'ai écrit cette petite histoire pour un cours de littérature à mon université. Mon professeur a eu la gentillesse de me permettre de l'écrire en français louisianais. Ce conte a été inspiré par deux oeuvres : le roman The Wind and the Willows de Kenneth Grahame et le poème Shelter de C.S. Calverley.


 

Il l’avait attendu, attendu, attendu: La belle de ses rêves, une apparition qu’on ne voyait que dans les petites heures du matin, s’accroupit le long de la rivière sans se soucier de son attention. Ses pieds faisaient peu de son sur l’herbe molle et élastique. Un chaoui [1] l’a grondée de la sécurité d’un arbre ; elle n’a pris aucun avis. Martin lui-même faisait attention à ne pas faire du train [2]. Il savait que si elle l’a vu, elle crierait et courrait.


Ça faisait plus de six semaines que Martin, qui allait chaque matin dans les profondeurs du bayou avec rien sauf son petit pirogue et une vielle rame de bois, a vu pour la première fois cette belle dame du marais. Il était après déjeuner quand il a entendu ses doux soupirs. Il n’a pas vu d’où elle venait ; peut-être, comme beaucoup, elle habitait dans le bayou lui-même. Martin vivait dans la ville d’Érath, pas loin du marais, et il n’avait jamais vu une dame comme celle-ci. Son père—qui était trappeur saisonnier—possédait des terres sur ce marais, mais c’était à lui, Martin, de les examiner régulièrement. L’injustice !


Ce matin-là—ça faisait un bail—il l’a vue dans le même long de la rivière sur lequel elle se tenait asteur. Dès le premier instant, il était transpercé par sa beauté et sa grâce. Ses yeux, si incroyablement bruns, n’étaient assortis que par ses cheveux luxueux et soyeux. Avec un regard timide, elle regardait tout ce qui l’entourait : les chênes, l’eau stagnante, les cyprès et ses boscouillots [3]. Elle semblait marcher sans but, ne s’arrêtant que pour regarder les abeilles ou les fleurs.


Quand il l’a décrite à son père, Monsieur Fontenot n’était pas du tout content ; en fait, il était absolument fâché contre cet envahisseur qui, il a dit, n’avait aucune raison d’être sur sa terre. Il a dit à Martin qu’il faudrait lui dire s’il a vu cette « belle » de nouveau. Si c’était nécessaire, M. Fontenot y irait lui-même pour instiller un sentiment de peur dans cette maudite, et si elle ne partait pas, il a juré qu’il la tuerait avec son fusil. Martin avait peur ; il fallait protéger sa belle dame mystérieuse ! Alors il ne l’a plus jamais mentionnée à son père.


Quelquefois elle était là ; plus souvent, il attendait et attendait et elle n’apparaissait jamais.


"As-tu la vu ?" demandait son père chaque après-midi. "Si tu la vois encore, il faudra me dire."


"Non, Papa," disait-il, et souvent c’était vrai. Pas toujours.


"Tu ne mens pas, hein ?"


"Ben non !"


"Mmm." Son père le regardait. "Va, ‘tit bête, et n’oublie pas de me dire ce que tu vois là-bas."


"Oui, papa."


"Alors va-t’en."


Et il partait.


Martin aimait le bayou, surtout le matin. Et il aimait assez bien être tout seul dans un monde d’eau et de saules. Avant qu’il y allait, sa maman lui faisait le déjeuner ou même le dîner ; il n’est jamais sorti assez longtemps pour avoir besoin de souper [4]. Le matin où il a vu sa belle pour la première fois, il était après manger du pain avec des saucissons que sa maman a achetés à la petite épicerie en ville. Le propriétaire aimait bien la famille Fontenot et surtout petit Martin, et parce qu’il savait que Martin mangeait beaucoup de saucissons, il incluait un supplément lorsque Mme Fontenot achetait un colis.


"Quelque chose de lagniappe," disait-il.


"C’est pas nécessaire, je peux payer !" disait la mère de Martin, légèrement offensée. Mais le propriétaire riait et riait et n’acceptait pas les piastres [5] qu’elle lui offrait.


Quelquefois Martin laissait des morceaux de pain à côté du long de la rivière, car il savait qu’il pourrait être difficile pour les habitants du bayou de trouver de la nourriture. Le pain restait là, partiellement enveloppé dans une serviette blanche. Évidemment la belle n’en voulait pas, car elle ne l’a jamais pris (ni même regardé). C’était très bizarre, puisqu’elle avait l’air en très bonne santé.


Soudainement elle s’est tournée vers lui. Il n’y avait aucun doute : elle l’a vu, caché derrière les branches de l’arbre. Ses yeux étaient grands ouverts. Elle s’est arrêtée de peur. Peut-être il a fait du bruit, car elle s’est retournée et a sauté dans l’eau ombreuse du bayou.


Et le nutria [6] s’est éloigné.


 

[1] un raton laveur.

[2] faire du bruit

[3] le pneumatophore d’un cyprès.

[4] En Louisiane, les trois repas sont le déjeuner, le dîner et le souper.

[5] Un dollar

[6] Un ragondin.

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