Joseph Dunn | La Nouvelle-Orléans, Louisiane
Il fut un temps dans les gazettes franco-louisianaises d'antan, publiées et "lues dans toutes les paroisses créoles," comme le souligne si bien ce rez-de-chaussée publié à la fin du 19e siècle dans le journal "L'Abeille de la Nouvelle-Orléans," où les lettres à la rédaction suscitaient de vifs débats, les réponses se suivant les unes après les autres.
La lettre datée du 27 novembre 2020 adressée par Mme Earlène Broussard à M. Bennett Boyd Anderson, rédacteur du Bourdon de la Louisiane, est sûre de provoquer quelques réactions du lectorat, spécialement chez celles et ceux pour qui le fait français en Louisiane leur tient à cœur.
Elle lui pose directement quelques questions dont les réponses sont facilement décelées dans la littérature, les documents légaux, les registres paroissiaux, les recensements de milice et autres archives franco-louisianaises depuis trois siècles.
Bien que Mme Broussard revendique à juste titre son identité Cadienne, le terme "franco-louisianais" fut déjà connu au 19e siècle et l'adjectif "créole" désigna tout simplement les régions ou les gens chez qui le français était d'usage, tel qu'illustré sur l'image ci-dessus. Encore quant au mot "créole," Robert Talon, né en 1684, fut décrit comme "le premier Créole de cette colonie" sur son acte de décès en 1734. De plus, sur ce Recensement général de la Milice des Atakapas datant de l'année 1792, on constate que les miliciens désignés comme "Acadien" ou "Européen" naquirent en dehors de la Louisiane, tandis que le label "créole" attribué aux Mélanson, Bonin, Castille et autres les qualifia de natifs de la colonie, tout simplement, et ce malgré leurs origines acadiennes, européennes ou espagnoles.
Il serait donc illogique d'accuser M. Anderson "d'ingénierie culturelle" (cultural engineering) ou de "néo-colonialisme" lorsqu'on prend en compte l'emploi inscrit et attesté des labels "franco-louisianais" et "créole" dans ces contextes historiques.
Sans mentionner que les identités cadienne et créole ne sont plus synonymes de "francophone" ou "créolophone," Mme Broussard prétend que "le sud de la Louisiane est un coin du monde où l'on parle encore français à cause des [grâce aux] Cadiens."
Certains diraient par contre que sans les efforts et investissements considérables déployés depuis plus de cinquante ans par la France, la Belgique, le Canada et plusieurs autres partenaires internationaux, en plus des actions menées par d'innombrables Louisianais-es comme elle, le français ne serait plus parlé du tout par les Louisianais âgés de moins de soixante ans. La langue française survivrait-elle plutôt . . . en dépit des Cadiens ?
Les écoles d'immersion et les cours de français langue seconde animés par des Louisianais-es ainsi que par des professeurs recrutés de partout en Francophonie se situent à travers la Louisiane, de La Nouvelle-Orléans à Ruston, de Bâton-Rouge à Lac Charles, de Lafayette à la Pointe-Coupée, et de ce fait, les "nouveaux francophones" qui en ressortent n'adhèrent pas tous au label "cadien." Présumer ou déclarer le contraire serait erroné.
Il ne s'agit donc pas ici d'une question "d'influencer nos enfants à changer leur identité cadienne," mais de refaire place à une étiquette linguistique inclusive qui reflète la riche et diversifiée mosaïque qui a toujours caractérisée la population franco-créolophone louisianaise.
Ce sont ces Franco-Louisianais de toutes origines qui se sont réapproprié le français et le créole, notamment Bennett Anderson avec Le Bourdon de la Louisiane, Nathan Rabalais avec son documentaire "Finding Cajun," Will McGrew et l'équipe extraordinaire de Télé-Louisiane, Sam Craft de Sweet Crude et "New Niveau," Scott Tilton et Rudy Bazenet de NOUS NOLA, Ashley Michot avec le recueil "Ô Malheureuse," Taalib Auguste avec "LACréole Show" et bien d'autres jeunes et moins jeunes de toutes les couleurs de peau et labels identitaires. Aujourd'hui, ils sont devenus les porteurs infatigables de nos langues d'héritage, visant tous les jours à réimaginer l'espace franco-louisianais et sa place dans un monde contemporain en constante évolution.
Madame Earlène Broussard se signe FÂCHÉ en LA. Ce lecteur se désole qu'elle ne semble pas reconnaître dans ces initiatives extraordinaires la réussite de ses longues années de travail comme éducatrice, comme directrice du CODOFIL et comme activiste pour le français en Louisiane.
Oui, la réussite. Que sa lettre fît publiée et qu'une réponse y apparût dans une gazette franco-louisianaise en ligne en est la preuve incontestable.
Joseph Dunn
Franco-Louisianais | Créole de souche française & acadienne
Consultant | Entrepreneur touristico-culturel
Ancien Directeur du CODOFIL (2011-2014)
Note des éditeurs : L'article de Mme Earlène Broussard se trouve ici.
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